Approche de la santé sexuelle des patients atteints d’un cancer
Formation proposée par IFOL
Objectifs professionnels
Mieux comprendre l’impact de la maladie sur la santé sexuelle des patients pour permettre aux soignants d’aborder sereinement avec le patient et son conjoint les difficultés vécues et savoir orienter si nécessaire vers les relais adaptés.
La santé sexuelle des patients atteints de cancer a longtemps été le parent pauvre de la prise en charge en oncologie. Les difficultés sexuelles consécutives à la pathologie elle-même, aux effets secondaires et aux séquelles des traitements étaient largement sous-évaluées, voir totalement négligées. L’allongement de la survie des patients soignés pour un cancer, du fait des progrès médicaux, a permis l’émergence de nouvelles problématiques liées à la qualité de
vie pendant mais surtout après les traitements anticancéreux. Certes, les individus demandent à être soignés de leur cancer, mais ils veulent aussi garder ou retrouver une vie de qualité pendant et après leur parcours de soins. Or, la santé sexuelle, telle que la définit l’OMS fait partie intégrante de la qualité de vie. Depuis environ dix ans, la problématique « cancer et sexualité » sort de l’ombre et des voix se font entendre : Celles de trop rares patients qui osent parfois interpeller les soignants, les psycho-oncologues, les sexologues, qui à leur tour, relaient la parole des malades. Les études et les initiatives visant à intégrer la prise en compte de la santé sexuelle se sont développées ces dernières années.
Dans notre Centre de Lutte Contre le Cancer (CLCC), une collaboration entre psychologues cliniciennes et onco-gynécologue a permis l’élaboration d’un projet visant à améliorer la prise en compte de la santé sexuelle des patients. Une enquête nous a initialement permis d’identifier plus clairement les difficultés de communication soignant-soigné au sujet de la sexualité, d’en cerner les causes et de recenser les besoins et les attentes des soignants pour améliorer leurs prises en charge en matière de santé sexuelle. Elle a surtout mis en évidence que la sexualité, envisagée sous l’angle du cancer, se retrouve empreinte de représentations négatives et pessimistes, qui vont constituer un véritable et redoutable obstacle à toute tentative de dialogue. Au-delà du sentiment d’incompétence évoqué par les soignants, ce sont ces représentations négatives qui entravent massivement l’intérêt pour la santé sexuelle en oncologie. Ces constats ont abouti à la mise en place d’une formation à l’approche de la santé sexuelle. Au-delà des apports théoriques sur les données sexologiques de base et sur l’impact du cancer et des traitements sur la sexualité, cette formation a pour objectif d’amener les participants à prendre conscience de leurs représentations inadéquates pour favoriser un processus de changement et pouvoir ainsi développer un savoir-être et des compétences relationnelles.
Lors des consultations d’accompagnement psychologique, les patients s’autorisent à mettre en mots leurs difficultés sexuelles, soit directement, soit de façon détournée en évoquant leur image corporelle ou la relation conjugale. Ils tendent des perches qu’il faut savoir saisir, racontent des rêves évocateurs, abordent les choses de l’intime souvent avec pudeur. Le psychologue ose les questions, reformule les réponses et invite le patient à se raconter, se dévoiler, dans le cadre sécurisant de l’entretien clinique, où finalement, la sexualité n’apparaît plus comme un sujet tabou. Quand on cherche à savoir s’ils ont eu l’occasion d’aborder le thème de la sexualité avec un soignant, un oncologue ou le médecin traitant, la majorité des patients exprime que la question de la sexualité n’est ou n’a jamais été soulevée avec l’équipe soignante. Parallèlement, nos différents échanges informels avec les équipes et les oncologues nous ont permis de constater que les soignants sont tout aussi mal à l’aise que les patients quand il s’agit de la sphère intime. Rien ne paraît plus antinomique que la sexualité et le cancer. Ces deux réalités apparaissent totalement incompatibles. C’est comme si elles ne pouvaient pas coexister. Pour certains, soignant ou patient, la perte de la sexualité sera le prix à payer pour obtenir la guérison, qui est l’objectif principal des soins. Pour d’autres, un corps abîmé, modifié, ne peut plus être désirable ni désirant. A un stade avancé de la maladie, l’idée même d’un souhait de sexualité peut paraître totalement secondaire, superflue voire malsaine. Le patient ne s’autorise pas à évoquer ses inquiétudes et ses questionnements avec les soignants. La crainte du jugement, le risque de choquer son interlocuteur, le tabou de la sexualité constituent de puissants freins à l’expression du vécu, aussi difficile soit-il. De leur côté, les soignants ne savent pas comment s’y prendre pour parler de sexualité et sont tout aussi mal à l’aise que les patients. Partant de ces constats, et afin de mieux comprendre le vécu des soignants, nous avons réalisé fin 2011 une enquête5 auprès des soignants de notre centre, l’objectif étant d’identifier leurs manques et besoins quant à l’abord de la problématique sexuelle avec les patients. Les résultats de cette enquête ont confirmé les difficultés de communication autour de la sexualité pendant et après les traitements du cancer :
74% des soignants rapportent que les patients n’abordent pas ces questions pendant les soins ou les consultations.
85% d’entre eux ne prennent pas l’initiative d’évoquer ce thème avec les patients, précisant qu’ils attendent plutôt que les patients en parlent. Les soignants évoquent également comme raison la gêne occasionnée par ce thème, ou le fait qu’ils ne le ressentent pas comme une priorité.
45% pensent manquer de connaissances médicales spécifiques à la sexualité, notamment en ce qui concerne les répercussions des différents traitements anti cancer (chirurgie, chimiothérapie, …) et la prise en charge des troubles fonctionnels induits par ces traitements.
67% des soignants disent manquer de relais identifiés pour orienter les patients en difficulté, ce qui les freine pour aborder le sujet.
65% des soignants estiment qu’ils se sentiraient plus aptes à aborder la sexualité grâce au développement des connaissances, d’outils et de relais identifiés pour l’orientation des patients.
L’analyse qualitative du verbatim, quant à elle, faisait ressortir des représentations liées à la sexualité et des résistances pouvant entraver l’implication des soignants dans le repérage des difficultés sexuelles des patients (ex : « Est-ce un problème si important dans le cadre de la survie du patient face à son cancer ? », « Ce n’est pas la priorité des patients », « Ils sont trop préoccupés par leur maladie », « Je m’occupe de patients dont le cancer ne touche pas un organe sexuel », « Dans mon service, la moyenne d’âge des patients est de 60 ans, alors…»).
Ce type de représentation amène les soignants à se forger des idées préconçues qui permettent d’occulter la problématique sexuelle. En effet, les patients âgés ou vivant seuls sont souvent considérés comme non actifs sexuellement ; il semble donc inutile d’aborder l’intimité avec eux. Le fait que le cancer ne touche pas un organe impliqué dans la sexualité, la gravité de la maladie sont autant d’arguments cités pour justifier le caractère secondaire, voire superflu, de la santé sexuelle au cours de la pathologie cancéreuse. De plus, perçu comme trop intime par certains soignants, ce sujet n’est pas considéré comme une composante de la qualité de vie des patients mais relève tout simplement de la vie privée. Cette enquête nous a permis de mieux identifier la façon dont les soignants de notre centre se positionnent face à la problématique « cancer et sexualité » et de mettre à jour certaines représentations négatives, pessimistes, inadéquates qui vont interférer sur les attitudes des soignants et empêcher toute forme d’échange sur ce sujet.
Nous n’avons pas trouvé dans la littérature de travaux similaires permettant de comparer les résultats de notre enquête. Par contre, la littérature est unanime quant aux difficultés de communication soignant-soigné sur la sexualité. Les auteurs, qu’ils soient oncologues, psychologues, infirmières, sexologues témoignent du malaise des soignants qui estiment que c’est un sujet délicat et intime, que la sexualité n’est pas la priorité des patients, ni celle des oncologues. Ils ne se sentent pas compétents car non formés à l’abord d’une problématique qui leur semble complexe