Contexte
Les psychiatres, en exercice ambulatoire de ville et en institution, constatent fréquemment des interruptions des traitements, que ceux-ci soient prescrits par eux-mêmes ou par des collègues. Les conséquences en sont souvent dommageables, à plus ou moins court terme : pour le patient et son entourage, et au niveau de la santé publique. Dans ces deux registres, l’observance des traitements est un enjeu majeur, insuffisamment étudié ; sa connaissance par les praticiens est parfois seulement empirique, ce qui limite leurs possibilités d’action.
La fréquence des ruptures de traitement est difficile à connaître précisément, des évaluations récentes d’inobservance des traitements (sous toutes ses formes) situent celle-ci entre 20 et 40% des prescriptions faites par les médecins.
Les psychiatres se sentent parfois démunis dans une situation de rupture de traitement, pour en comprendre les causes et donc pour y répondre au mieux.
L’observance des traitements, donc la survenue des interruptions, peuvent être considérées comme un repère fidèle de l’état des relations entre : d’une part le patient et son médecin (et les structures de soins éventuellement concernées) ; d’autre part la population et le système de soins en général. Ces relations sont conditionnées par les représentations mentales et les valeurs associées aux soignants, aux soins, et à ce qui structure ce système de soins dans la pensée commune. Ces représentations et valeurs, qui concernent chaque citoyen quelle que soit sa position par rapport à la médecine et aux soins, sont elles-mêmes structurées et médiatisées en fonction des concepts prévalents dans la société. Parmi ces concepts, l’autorité tient un rôle de premier plan, bien qu’elle soit peu ou mal explorée dans ce contexte des soins médicaux.
Grandes lignes
Deux psychiatres expérimentés, tant en pratique institutionnelle qu’en cabinet de ville, aborderont avec le groupe de participants au cours de cette session de formation continue les situations de rupture de traitement sous l’éclairage de l’étude de l’autorité et de sa disparition. Ceci permettra de comprendre les processus au travail, en articulant entre eux ces phénomènes apparemment sans relation de causalité. L’étude de l’ouvrage de Robert Damien, Éloge de l’autorité, et de sa théorisation complexe, fourniront des premiers repères.
D’une façon générale, l’autorité s’appuie sur un collectif qui la valide ; elle participe à fonder l’éthique de l’exercice d’un pouvoir et, pour autant que ce dernier s’y réfère, il y trouve sa légitimité et son efficacité. À l’inverse, la chute de l’autorité peut générer une annulation de la reconnaissance de l’exercice du pouvoir, dont les décisions sont perçues dès lors comme arbitraires.
L’ensemble des soins dispensés en psychiatrie ainsi que leur organisation, autant en pratique individuelle de cabinet de ville qu’en milieu institutionnel, peuvent être considérés comme l’exercice d’un pouvoir. Lui-même référé à ce que l’on peut désigner par le terme « autorité médicale ». Suivant cette hypothèse, la logique d’une rupture entre le concept d’autorité médicale et/ou d’autorité en un sens plus large, et les propositions de soins faites aux malades, donne un sens aux passages à l’acte observés tels que : refus des prescriptions médicamenteuses, sortie d’une institution de soins contre avis médical, passage à l’acte hétéro ou auto-agressif.
Nous proposerons d’examiner ces situations de rupture à partir de deux exemples historiques. Le premier convoque Maximilien de Robespierre, en étudiant comment l’avocat d’Arras, investi d’une autorité morale reconnue et adversaire de la peine de mort, est devenu le maître de la Terreur. Le deuxième explore l’utilisation de l’autorité par Augustin, évêque d’Hippone et Père de l’Église, pour valider des positions théologiques très différentes de ses écrits sur la question du Mal.
Puis, enseignés par la réflexion sur la logique à l’œuvre dans les moments de perte d’autorité, nous étudierons des situations cliniques avec des adultes et des adolescents, en milieu institutionnel et en cabinet de ville, dans le but de préciser : comment repérer et prévenir de telles situations de rupture, quelles attitudes, quels comportements à visée thérapeutique adopter ? Ces situations cliniques seront issues de la pratique des intervenants et des participants à la session.
Grands objectifs
Comprendre et intégrer les articulations logiques entre autorité médicale, autorité en général, et exercice d’un pouvoir de prescription en médecine quotidienne.
Repérer la préparation, pour les anticiper, des situations de rupture de traitement.
Adopter les attitudes et comportements à visée thérapeutique dans les contextes de dépréciation, voire perte, de l’autorité dans l’exercice médical au quotidien.